Cette série d’articles est constituée d’extraits du livre de Guy Dechesne « Un siècle d’antimilitarisme révolutionnaire, Socialistes, syndicalistes, anarchistes et féministes, 1849-1939 » édité par l’Atelier de création libertaire en octobre 2021.
216 pages, ISBN : 978-2-35104-161-1
http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Un-siecle-d-antimilitarisme-revolutionnaire.html

 

 

 

 

Plan des articles

1. Le prolétariat contre la guerre

2. Chapitre suivant : La CGT et l’Internationale ouvrière

3. Le déclin de l’antimilitarisme révolutionnaire

La Première guerre mondiale

4. L’Union sacrée

5. Socialistes et syndicalistes minoritaires, anarchistes et féministes contre la guerre

6. Le Parti communiste dans l’entre-deux-guerres

À la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, un antimilitarisme radical est activement pratiqué par les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires qui sont majoritaires dans le mouvement ouvrier. Voici leur vision : Le capitalisme et l’armée sont liés. L’armée est un instrument de lutte des classes. Elle réprime les manifestations et les grèves et abrutit les conscrits qu’elle soumet à une propagande antisyndicale. Le capitalisme est belliciste. La guerre diviserait le mouvement ouvrier. Le patriotisme est une duperie. La solidarité prolétarienne et internationale contre le capitalisme est essentielle. Il faut faire échec à la guerre et à l’armée.

L’Internationale exprime ce radicalisme :

« Les Rois nous saoulaient de fumées,

Paix entre nous, guerre aux tyrans !

Appliquons la grève aux armées,

Crosse en l’air et rompons les rangs !

S’ils s’obstinent, ces cannibales,

À faire de nous des héros,

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux. »

Le prolétariat contre la guerre

Sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, une contestation démocratique agite l’armée. Des incidents et des rébellions éclatent dans les troupes.

En 1849, le Procureur général de Nancy écrit[1] :

Il ne faut pas se dissimuler que tous les efforts des hommes de désordre et d’anarchie s’attaquent en ce moment à l’armée, et qu’ils ont recours à tous les moyens pour leur faire accepter leurs doctrines.

Un appel de démocrates juge que les officiers supérieurs « ne représentent pas plus les intérêts des prolétaires de l’armée, que l’aristocratie financière ne représente ceux des prolétaires civils[2]. »

Dans Le soldat loup-garou[3], une publication diffusée dans les troupes, un soldat fictif raconte les ordres reçus en Algérie :

  • Tire donc, lâche ! me dit la Voix.
  • Mais, que nous ont-ils fait ? répondis-je en tremblant.
  • Tire, ou je tire sur toi… Je lâchai mon coup en fermant les yeux, car ils avaient beau être des Arabes, ils saignaient.

Puis à Paris, face à des affamés :

  • Mais, ce sont nos frères, – m’écriai-je -, ils nous l’ont dit.
  • Ce sont des insurgés – répondit la Voix, avec un ton terrible. Pas de raison, et feu !

Félix Pyat adresse un appel à la conscience républicaine[4] :

L’armée entière s’arrêterait devant ces trois mots : liberté, égalité, fraternité. Car vous êtes les soldats du droit. Non, vous ne tournerez pas les armes contre la France, et, si l’on voulait porter atteinte à la Constitution […] non seulement vous vous souviendriez que la loi vous dispense d’obéir, mais encore vous répéteriez, avec vos pères, que, contre la tyrannie, l’insurrection est le plus saint des devoirs.

Le premier Congrès de l’Association internationale des travailleurs (Première Internationale), en 1866, revendique le remplacement des armées permanentes, qui répriment le mouvement ouvrier et sont censées être fauteuses de guerres, par des milices uniquement défensives, c’est-à-dire par le peuple en armes[5].

Le congrès de Lausanne, en 1867, décide d’adhérer au Congrès de la Paix

pour réaliser l’abolition des armées permanentes et le maintien de la paix, dans le but d’arriver le plus promptement possible à l’émancipation de la classe ouvrière et à son affranchissement du pouvoir et de l’influence du capital ainsi qu’à la formation d’une confédération d’Étals libres dans toute l’Europe[6].

« Le Congrès [de 1868, à Bruxelles] recommande surtout aux travailleurs de cesser tout travail dans le cas où une guerre viendrait à éclater dans leurs pays respectifs[7]. »

Quelques jours avant la guerre franco-allemande de 1870, les membres de l’Internationale parisienne adressent « aux Travailleurs de tous pays » et en particulier aux « Frères d’Allemagne » un manifeste contre cette guerre fratricide[8].

La guerre et les massacres contre la Commune de Paris exacerbent l‘opposition entre les fonctions de l’armée : la défense de la bourgeoisie et celle de la République.

Il faut attendre 1889 pour que les délégués ouvriers aux Congrès socialistes internationaux protestent à nouveau contre la guerre et affirment que la paix est la condition première de l’émancipation ouvrière.

En 1890, des délégués des organisations syndicales anglaises participent à Paris à une manifestation contre la guerre. L’année suivante, l’invitation est rendue. La délégation française adresse aux travailleurs anglais un manifeste adopté par près de trois cents organisations :

Il n’y a pas de gouvernement qui n’ait des actes odieux à se reprocher : le sang coule du nord au sud de l’Afrique, ainsi qu’à Madagascar, aux Philippines, etc. En Chine, les troupes d’Occident coalisées se sont livrées aux plus révoltants massacres qu’ait encore enregistrés l’histoire. [… Il faut que les travailleurs] prouvent leur haine de la guerre, […] qu’elle se manifeste de si nette façon que les dirigeants soient obligés d’en tenir compte. Dans cet ordre d’idées, vos Quakers[9] nous ont donné de beaux exemples, indiqué la voie libératrice. […]

Il est question de vous soumettre au service obligatoire, esclavage dont nous souffrons et qui a, sur le moral et le physique des peuples qui le subissent, des conséquences dépravantes, car il atrophie en eux l’esprit d’initiative, les désirs d’indépendance, le respect de soi-même. D’un simple point de vue matériel, le service obligatoire aurait pour vous des effets désastreux[10].

À cette époque, les socialistes français de toutes les tendances sont des jacobins qui associent dans le même respect la patrie et l’armée et réclament l’abolition des armées permanentes et l’armement général du peuple[11]. Mais la répression militaire des manifestations ouvrières modifie l’analyse. L’armée, écrit Jean Jaurès, n’est plus ce qu’elle était, « La nation elle-même, unie pour défendre le sol[12]. »

Après la fusillade de Fourmies du 1er mai 1891, Paul Lafargue publie un article « sur le rôle que la classe capitaliste fait jouer à l’armée » :

L’armée entretenue aux frais de la nation est composée de citoyens à qui on impose la dette du sang et que l’on condamne aux horreurs et à l’abrutissement de la caserne et de l’obéissance passive, devrait, pour prix de ces sacrifices, n’être exclusivement consacrée qu’à la défense du territoire. […] Les armées modernes ne sont que des troupes de police[13].

L’Avenir social[14] s’insurge :

L’armée « noie dans le sang les revendications des ouvriers des mines et des usines. »

Une affiche de 1892 s’adresse aux soldats :

Esclaves de la caserne, les forçats de l’atelier vous tendent les mains !

Parias du militarisme, fraternisez avec les victimes du capital[15] !

À son congrès fondateur, en 1889, l’Internationale socialiste (Deuxième Internationale ou Internationale ouvrière) se définit comme « l’unique et le vrai parti de la paix » et « affirme la paix comme condition première et indispensable à toute émancipation ouvrière. » Aux congrès suivants (Bruxelles 1891, Zurich 1893), des conceptions s’opposent :

  • Le Néerlandais Ferdinand Domela Nieuwenhuis, soutenu par la majorité des délégués français, préconise la grève générale contre la guerre.
  • Pour d’autres, en particulier la délégation allemande, c’est la victoire définitive sur le capitalisme qui assurera la paix. Ils sont fidèles à l’idée du Manifeste du Parti communiste « Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles[16]» Le français Jules Guesde, du même avis, écrit : « La grève militaire […] serait, si elle pouvait se réaliser, un crime de haute trahison envers le socialisme, puisque, forcément limitée aux pays à fort parti socialiste, elle les livrerait aux pays comme la Russie où un parti socialiste est encore à créer et où aucune grève, par suite, ne viendrait entraver la mobilisation de l’armée et sa marche en avant. Découvrir, désarmer l’Occident socialiste devant la barbarie asiatique, [serait…] l’effet de la tactique préconisée […][17]. » Pendant l’élaboration de l’alliance franco-russe, Friedrich Engels écrit : « Si la République française se mettait au service de Sa Majesté le Czar et Autocrate de toutes les Russies, les socialistes allemands la combattraient à regret, mais ils la combattraient […]. La République française peut représenter, vis-à-vis de l’Empire allemand, la révolution bourgeoise. Mais, vis-à-vis […] de la république qui travaille pour le Czar russe, le socialisme allemand représente la révolution[18]. »
  • Édouard Vaillant et Jean Jaurès soutiennent une position intermédiaire et pragmatique approuvée par les congrès.

Plan

1. Le prolétariat contre la guerre

2. Chapitre suivant : La CGT et l’Internationale ouvrière

3. Le déclin de l’antimilitarisme révolutionnaire

La Première guerre mondiale

4. L’Union sacrée

5. Socialistes et syndicalistes minoritaires, anarchistes et féministes contre la guerre

6. Le Parti communiste dans l’entre-deux-guerres

[1] Au garde des sceaux, 20 mars 1849, cité par Jacques Bouillon, « Les démocrates et l’armée aux élections de 1849 », Revue d’Histoire du XIXe siècle – 1848, n° 18, 1955, p. 111.

[2] « Appel du Comité électoral central démocratique du Rhône aux sous-officiers et soldats de l’armée des Alpes », Révolution démocratique et sociale, 16 avril 1849, cité par J. Bouillon, op. cit., p. 112.

[3] Février 1849, cité par J. Bouillon, op. cit., p. 113.

[4] Aux soldats ! À l’armée nouvelle !, Discours prononcé le 2 avril 1949 au banquet des délégués du Luxembourg et reproduit dans les journaux démocratiques de Paris et de province, cité par J. Bouillon, op. cit., p. 114.

[5] Annie Crépin, « Avant L’Armée nouvelle : les socialistes, Jaurès, et la défense nationale », Cahiers Jaurès, n° 207-208, 2013, p. 11-26.

[6] Confédération générale du travail, Le prolétariat contre la guerre et les trois ans, Paris, 105 pages, p.4. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109584g.texteImage          consulté le 16 novembre 2020.

[7] Ibidem, p.5.

[8] Le Réveil, 12 juillet 1870.

[9] Les membres du mouvement religieux la Société des Amis, communément appelé Quakers, sont engagés contre la guerre et pour la non-violence, ce qui entraîne souvent leur emprisonnement, notamment pour objection de conscience.

[10] Le prolétariat contre la guerre, op. cit. p. 9-10.

[11] Michel Winock, « Socialisme et patriotisme en France (1891-1894) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1973, p. 382.

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1973_num_20_3_2255 consulté le 18 décembre 2020.

[12] « Choses étranges », La Petite République, 30 septembre 1893, cité par Michel Winock, op. cit. p. 384.

[13] « L’armée », Le Socialiste, 13 mai 1891, cité par Michel Winock, op. cit. p. 383.

[14] Supplément au n° 117, juillet 1894, cité par Michel Winock, op. cit. p. 384.

[15] Michel Winock, op. cit. p. 384.

[16] Karl Marx et Friedrich Engels, traduction de Laura Lafargue, « Manifeste du Parti communiste », 1848, https://www.ucc.ie/archive/hdsp/Literature_collection/Manifest_French.pdf, p. 22, consulté le 12 janvier 2021.

[17] Le Socialiste, 26 août 1893, cité par Michel Winock, op. cit. p. 398.

[18] Friedrich Engels, « Le socialisme en Allemagne », Almanach du Parti ouvrier pour 1892, cité par Michel Winock, op. cit. p. 421.

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