» Le peuple du Larzac  » – Philippe Artières

La Découverte, 2021, 304 pages

 

R 6 verte, 4 L blanche. Un point commun : sur la vitre arrière, l’autocollant triangulaire orange du Larzac, et un autocollant de soutien aux Lip. Je n’ai pas de photos. Tant pis… Je n’ai pas fait partie du peuple du Larzac. D’ailleurs, le plateau, je l’ai découvert après 1981. Plusieurs étés de suite, nous avons campé pas loin de Millau. Mais pendant les étés de lutte, ceux des années 70, et des grands rassemblements, je faisais des colos comme animateur. Souvenirs, souvenirs…

C’est bien plus qu’un livre de souvenirs que nous donne à lire Philippe Artières. C’est une fresque qui remonte à la préhistoire. Le Larzac est un plateau, truffé d’avens (gouffres qui plongent dans la roche). Il y a eu de la vie très tôt sur le plateau, les recherches archéologiques en témoignent (ossements, y compris de moutons, poteries. Je ne détaille pas). Plus tard, le plateau a vu passer les Romains, puis les Templiers au Moyen Âge. La vie est rude et pauvre (froid l’hiver, grosses chaleurs l’été). Juste avant la révolution, les moines Hospitaliers sont bien implantés. Sans oublier les moutons, solidement attachés au plateau. C’est d’ailleurs en grande partie à cause d’eux que les forêts ont disparu.

Qui dit brebis dit Roquefort. Bien entendu. Et travail difficile pour les femmes en particulier, les cabanières. C’est elles qui trient, qui salent, qui retournent les fromages. Á Millau, d’autres ouvrières travaillent dans l’industrie des gants. Et puis, une autre spécificité sur le plateau, l’implantation de camps, qui va qui petit à mener à la résistance aux militaires. Dans un premier temps, une colonie agricole pénitentiaire au Luc, pour les « jeunes garçons indisciplinés »,. Brrr ! Au début du vingtième siècle s’installe un camp d’entraînement militaire. Suivent diverses autres « réjouissances », avec les Espagnols réfugiés à la fin de la guerre civile, puis juste après la deuxième guerre mondiale, il s’agit de rééduquer les officiers allemands, puis des résistants algériens sont assignés à résidence. La guerre d’Algérie terminée vient le temps des Harkis. Au milieu des années 60, le Larzac semble trouver un temps de quiétude. Quelques nouvelles installations, et la cohabitation avec le camp se fait naturellement, sans gros problèmes. Mai 68 a peu perturbé le plateau.

Jusqu’en octobre 1970, où le secrétaire d’État à la Défense annonce une extension du camp, de 3 500 à 17 000 hectares. Le pouvoir est alors persuadé que cette extension se fera sans problèmes dans cette terre de paysans peu nombreux. Vous connaissez la suite, et Pierre Artières nous la conte à nouveau. La non-violence au cœur de la résistance, grâce à Lanza del Vasto, aux objecteurs de conscience, aux militants du plateau, mais aussi aux nombreux soutiens des comités Larzac qui ont essaimé dans tout le pays. Grâce aussi à la jonction avec la lutte des travailleurs de Lip, grâce au refus de l’impôt (« 3 % Larzac » retenus par de nombreux militants), qui a permis la construction de la Bergerie de La Blaquière, illégale. L’achat de Parts pour empêcher l’armée de s’accaparer les terres nécessaires à l’extension du camp. Sans oublier les rassemblements pendant certains étés. Les marches sur Paris, à pied, en tracteur, avec ou sans moutons !… Cette histoire est encore très présente dans la mémoire de nombreux militants antimilitaristes, écologistes, décroissants. L’adjectif « gauchiste » rassemblait tout ce beau monde aux yeux du pouvoir. La Gueule ouverte, Charlie hebdo, le Canard enchaîné ont soutenu le mouvement. Et tant d’autres journaux plus ou moins connus, dont Gardarem lo Larzac, qui continue à paraître.

Des noms ? Pas réellement la peine, il s’agit d’une lutte collective sur le plateau, dans les villes, dans les campagnes. Aller, un p’tit effort, je cite José Bové. Philippe Artières lui consacre quelques pages sympathiques. En 1981 est venu le temps de l’apaisement avec la décision de François Mitterrand d’abandonner l’extension du camp. Mais la « culture Larzac » a imprégné une génération (au moins !). L’auteur termine sur la vie actuelle sur le plateau, où le tourisme vert, le tourisme historique permet à ce lieu témoin d’histoires humaines denses et passionnantes de continuer à affirmer une identité originale.

Tous ensembles, nous avons gardé le Larzac. Mais il semble que Philippe Artières pose un regard plus distancié sur cet afflux touristique vert et historique qui s’éloigne petit à petit de l’esprit des luttes. Cependant, en conclusion, il n’oublie pas de faire le lien avec Notre-Dame-des-Landes, avec le Val de Suze (liaison ferroviaire Lyon – Turin), avec le triangle de Gonesse (projet Europa City). Il fait référence à Hakim Bey, aux zones autonomes temporaires, « […] qui s’inscrivent dans ce même souci de libérer des espaces où la Relation est devenue impossible ou menacée. Il ne faut donc pas voir dans l’histoire du peuple du Larzac la défense d’une identité figée, mais au contraire une lutte pour une Zone en devenir ». (p. 297). »

Cette phrase de conclusion doit concerner, dans nos têtes, toutes les luttes d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Merci à l’auteur de nous le rappeler en conclusion.

Jean-Michel Lacroûte

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