Cette série d’articles est constituée d’extraits du livre de Guy Dechesne « Un siècle d’antimilitarisme révolutionnaire, Socialistes, syndicalistes, anarchistes et féministes, 1849-1939 » édité par l’Atelier de création libertaire en octobre 2021.
216 pages, ISBN : 978-2-35104-161-1
http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Un-siecle-d-antimilitarisme-revolutionnaire.html

 

 

 

 

Plan

1. Le prolétariat contre la guerre

2. La CGT et l’Internationale ouvrière

3. Chapitre suivant : Le déclin de l’antimilitarisme révolutionnaire

La Première guerre mondiale

4. L’Union sacrée

5. Socialistes et syndicalistes minoritaires, anarchistes et féministes contre la guerre

6. Le Parti communiste dans l’entre-deux-guerres

La CGT et l’Internationale ouvrière

Association Internationale Antimilitariste

Affiche de l’Association Internationale Antimilitariste (1906)

La Fédération des Bourses du travail est créée en 1892. Georges Yvetot en est le secrétaire de 1901 à 1908. En 1902, il devient secrétaire adjoint de la Confédération générale du travail (CGT), organisée sur une base professionnelle, qui fusionne avec les Bourses du travail, organisées sur une base géographique. En décembre 1902, il est cofondateur de la Ligue antimilitariste. Il participe au Congrès antimilitariste d’Amsterdam, organisé par Ferdinand Domela Nieuwenhuis, où l’Association Internationale Antimilitariste (AIA) est fondée. Il est élu secrétaire de cette association qui a son siège au local de la CGT parisienne[1]. La Ligue antimilitariste devient, en 1906, une section de l’Association internationale antimilitariste. Les écrits et propos antimilitaristes d’Yvetot lui valent de nombreuses inculpations, condamnations et emprisonnements. Il déclare :

L’antipatriotisme et l’antimilitarisme ne font qu’un avec le syndicalisme[2].

Il rédige le Manuel du soldat dont, de 1902 à 1914, 215 000 exemplaires diffusent l’antimilitarisme de la CGT dans les casernes[3]. Le syndicat y propose au conscrit la désertion et l’exil à l’étranger avec l’aide pécuniaire de sa bourse du travail ou la pratique de la propagande antimilitariste dans sa caserne[4]. Dans ce dernier cas, le soldat bénéficie du soutien financier et de la solidarité du « Sou du soldat », créé par la CGT en 1900. Une chambre syndicale écrit aux conscrits :

Dans tous les conflits entre le capital et le travail, l’armée a toujours été contre nous ; si un jour tu étais mis en demeure de tirer sur tes frères de misère, inutile que nous t’indiquions la cible, ta conscience doit être assez forte pour te guider[5].

La CGT diffuse un appel « Aux camarades de la caserne » à fréquenter les maisons syndicales de leurs garnisons. Le Ministre de la Guerre interdit aux militaires l’accès aux bourses :

Il importe d’ailleurs que cette propagande soit soigneusement exclue de la caserne et [… d’] en interdire l’accès à tout écrit ou imprimé analogue qui […] prétendrait exercer sur le soldat une action indépendante de l’autorité militaire ou non contrôlée par elle[6].

En 1906 le congrès de la CGT, où la tendance syndicaliste révolutionnaire et antimilitariste domine, adopte ce qu’on appellera la Charte d’Amiens qui reste aujourd’hui une référence théorique du syndicalisme en France[7]. Yvetot fait voter une motion qui affirme :

Dans chaque grève, l’armée est pour le patronat ; dans chaque conflit européen, dans chaque guerre entre nations ou coloniale, la classe ouvrière est dupe et sacrifiée au profit de la classe patronale, parasitaire et bourgeoise. C’est pourquoi le congrès approuve et préconise toute action de propagande antimilitariste et antipatriotique […][8].

Cette position est dans la continuité de la formule « Le patriotisme, c’est l’ennemi » d’Émile Joindy :

La bourgeoisie, pour se maintenir, ne peut disposer de la force armée, qu’autant que cette force armée lui est laissée entre les mains par une sorte de vœu populaire. Or, quel meilleur moyen que le patriotisme pour être sûr de bien la tenir [9]?

En 1908, après une longue grève et des manifestations avec échanges de coups de feu et sévèrement réprimées (quatre manifestants morts et deux-cents blessés à Villeneuve-Saint-Georges), le Président du conseil, Georges Clemenceau, fait arrêter les principaux dirigeants syndicaux dont Yvetot[10], [11].

Une motion antimilitariste est adoptée au congrès de la CGT à Marseille :

Considérant que l’armée tend de plus en plus à remplacer […] le travailleur en grève, quand elle n’a pas pour rôle de le fusiller, [… le congrès de la CGT considère que les conscrits] ont pour devoir de ne pas faire usage de leurs armes contre leurs frères les travailleurs. [Et il rappelle que ] toute guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière [et] qu’il faut, au point de vue international, faire l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire[12].

C’est la première fois que la CGT précise que la grève générale doit être révolutionnaire.

Contre les bagnes militaires

« L’Humanité », 12 février 1912

A bas Biribi

L’Humanité, 23 mars 1910

En 1909, le soldat Albert Aernoult est envoyé à Djenan El Dar qui fait partie de Biribi, surnom de l’ensemble des compagnies de discipline et d’établissements pénitentiaires d’Afrique du Nord pendant la colonisation française. Il subit de tels sévices à son arrivée au pénitencier qu’il meurt le lendemain. Une énorme campagne de protestation se déroule[13]. « Plus de 120.000 personnes ont suivi le cercueil d’Aernoult », titre L’Humanité[14]. Le Comité de défense sociale appose une affiche « À bas Biribi », citée par le journal fondé et dirigé par Jean Jaurès, L’Humanité :

Soldats ! si vous vous sentez menacés, guettés par Biribi, n’hésitez pas, désertez ! […] Si vous êtes partis vers ces bagnes, […] souvenez-vous que les crimes militaires déjà commis justifient toutes les représailles contre les chefs assassins. […] Vous avez une baïonnette, servez-vous-en[15] !

En 1910, à Copenhague, le Congrès de la IIème Internationale (ou Internationale socialiste) rappelle

que les travailleurs de tous les pays n’ont entre eux ni démêlé ni désaccord de nature à provoquer une guerre ; que les guerres ne sont actuellement causées que par le capitalisme et particulièrement par la concurrence économique internationale des États capitalistes sur le marché du monde, et par le militarisme, qui est un des instruments les plus puissants de la domination bourgeoise à l’intérieur pour l’asservissement économique et politique du prolétariat[16].

Yvetot écrit dans La Voix du peuple :

[Quand les syndiqués] revendiqueront, quand ils s’insurgeront, il sera juste que nos enfants, nos frères et nos amis qui se trouveront soldats passent à nous avec armes et munitions[17].

En 1911, une crise oppose les pays européens pour se partager le Maroc. Le 23 septembre, les partis européens de l’Internationale, réunis à Zurich, se déclarent unanimes contre la guerre[18]. Le lendemain, un rassemblement anti-belliciste, appelé à Paris par l’Union des syndicats de la Seine et le Parti socialiste, réunit, malgré la pluie, 60 000 manifestants selon L’Humanité[19].

Des poursuites sont engagées contre des dirigeants syndicaux pour la propagande du « Sou du soldat ». Le 19 janvier 1912, 12 000 manifestants se pressent lors du procès[20], [21] où trois accusés sont condamnés à six mois de prison[22].

En août 1912, la fédération des instituteurs organise à son tour « Le sou du soldat » et scandalise la droite. À la Chambre, Adolphe Messimy, ancien ministre de la Guerre, révèle que des foyers d’antimilitarisme ont été découverts dans 15 ou 16 régiments. À la question « Qu’avez-vous fait de ces misérables ? », il répond simplement « Je les ai envoyés aux compagnies de discipline. » Il ajoute que, depuis la propagande du « Sou du soldat », le nombre de déserteurs et d’insoumis augmente considérablement : respectivement 2 600 et 12 000 de 1904 à 1910[23], [24].

En 1913, dix-huit responsables de la CGT sont arrêtés pour « incitation de militaires à la désobéissance ». Au total, 167 mois de prison leur sont distribués[25], [26].

Votée en mars 1912, la loi Berry-Millerand instaure une « double peine » pour les conscrits en systématisant l’envoi au bagne colonial des repris de justice, ainsi que des jeunes gens déjà condamnés à au moins trois mois de prison pour « diffamation et injure envers les armées » ou incitation de militaires à la désobéissance[27], [28]. Une campagne est dirigée contre cette loi, notamment par un « Comité féminin contre la loi Berry-Millerand, les bagnes militaires et toutes les iniquités sociales »[29], formé à l’initiative du syndicat parisien des couturières dont Thérèse Taugourdeau[30] est secrétaire. Le congrès de 1912 de la Confédération général du travail (CGT) invite à créer une caisse des insoumis pour aider les conscrits à s’exiler pour éviter le bagne[31], [32].

Plan

1. Le prolétariat contre la guerre

2. La CGT et l’Internationale ouvrière

3. Chapitre suivant : Le déclin de l’antimilitarisme révolutionnaire

La Première guerre mondiale

4. L’Union sacrée

5. Socialistes et syndicalistes minoritaires, anarchistes et féministes contre la guerre

6. Le Parti communiste dans l’entre-deux-guerres

[1] Michel Auvray, Objecteurs, insoumis, déserteurs, Histoire des réfractaires en France, Stock 2, Paris, 1983, p. 129.

[2] Déclaration au procès de l’affiche aux conscrits, décembre 1905, cité par Anne Steiner, Révolutionnaire et dandy, Vigo dit Almereyda, L’Échappée, Paris 2020, 304 p., p. 83.

[3] https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Dossier-1914-Contre-la-guerre-trois-strategies-CGT-PS-FCA-5941            Consulté le 8 août 2020.

[4] « Le rapport confidentiel de M. Hennion sur les menées antimilitaristes à la caserne », Le Matin, n° 10 678, 23 mai 1913, p. 1-2.

[5] « Le rapport sur le « Sou du soldat » », Le Matin, n° 10 679, 24 mai 1913, p. 2.

[6] Général André, ministre de la Guerre, avril 1902, cité par Michel Auvray, « Le Sou du soldat (1900-1914) », Gavroche, n° 38,‎ mars-avril 1988, p. 15.

[7] Marc Angenot, « L’antimilitarisme contre la « religion patriotique » », Mots. Les langages du politique, n° 76, 2004, http://journals.openedition.org/mots/2093 mis en ligne le 21 avril 2008, consulté le 22 avril 2020.

[8] https://maitron.fr/spip.php?article155351, notice YVETOT Georges, Louis, François [Dictionnaire des anarchistes] par Henri Dubief, notice revue par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 17 mars 2014, dernière modification le 1er novembre 2019.

En septembre 1939, il co-signe le tract « Paix immédiate ! » demandant « Que les armées, laissant la parole à la raison, déposent donc les armes ! ». Poursuivi, il n’est pas incarcéré en raison de sa santé.

[9] « Le patriotisme, c’est l’ennemi », Le Parti ouvrier, 27-28 avril 1894.

[10] « Une journée sanglante », Le Matin, n° 8921, 31 juillet 1908, p. 1-2.

[11] https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Juillet-1908-Draveil-Villeneuve-la-CGT-a-l-heure-de-verite            Consulté le 15 avril 2020.

[12] Institut d’histoire sociale, Les Congrès et conférences syndicaux https://www.ihs.cgt.fr/5796-2/
p. 325, consulté le 24 mai 2020.

[13] Paul B. Miller, « L’affaire Aernoult-Rousset », Plutôt l’insurrection que la guerre !, L’antimilitarisme dans l’Yonne avant 1914, Colloque ADIAMOS 89, Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 4ème trimestre 2005, p. 54-72.

[14] L’Humanité, n° 2 857,‎ 12 février 1912, p. 1-2.

[15] « À bas Biribi », L’Humanité,‎ 23 mars 1910, p. 2.

[16] Cité par Jean-Jacques Becker, « La IIe Internationale et la guerre », in « Les Internationales et le problème de la guerre au XXe siècle. Actes du colloque de Rome (22-24 novembre 1984) », École Française de Rome, 1987. 404 p. Publications de l’École française de Rome, n°°95, p. 10. https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1987_act_95_1_2885                   Consulté le 22 août 2020.

[17] 15 juillet 1911, cité par « Le rapport sur le « Sou du soldat » », Le Matin, n° 10 679, 24 mai 1913, p. 2.

[18] « Le Bureau socialiste international », L’Humanité, n° 2 716, 23 septembre 1911, p. 1.

[19] « Paris ouvrier contre la guerre », L’Humanité, n° 2 717, 24 septembre 1911, p. 1.

[20] « Le rapport sur le « Sou du soldat » », Le Matin, n° 10 679, 24 mai 1913, p. 1.

[21] « Le Procès des lois scélérates », L’Humanité, n° 2825, 11 janvier 1920, p. 1.

[22] Michel Auvray, « Le Sou du soldat (1900-1914) », op. cit., p. 15-16.

[23] « Les instituteurs. La propagande du « Sou du soldat  » dans l’armée. », Le Matin, n° 10 504,‎ 30 novembre 1912, p. 2.

[24] Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir : ouvriers et révolutionnaires face à la guerre : 1909-1914, Montreuil et Paris, L’Insomniaque et Libertalia, 2016, p. 287-288.

[25] « Tribunaux. Les poursuites contre le « Sou du soldat » », L’Humanité, n° 3691, 27 mars 1914, p. 4.

[26] Michel Auvray, « Le Sou du soldat (1900-1914) », op. cit., p. 19.

[27] « La loi des « exclus » va être modifiée », Le Petit Parisien, n° 13 165,‎ 14 novembre 1912, p. 2.

[28] Michel Auvray, Objecteurs, insoumis, déserteurs, op. cit., p. 142.

[29] https://chsprod.hypotheses.org/1912-2          consulté le 24 mai 2020.

[30] https://maitron.fr/spip.php?article154222 , notice TAUGOURDEAU Thérèse (née Marie-Thérèse CHAILLOU) [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 9 avril 2014, dernière modification le 2 décembre 2019.

[31] « Le rapport sur le « Sou du soldat » », Le Matin, n° 10 679, 24 mai 1913, p. 2.

[32] Michel Auvray, « Le Sou du soldat (1900-1914) », op. cit., p. 19.

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