Le Groupe d’action et de résistance à la militarisation (Garm)

De quoi s’agit-il ?

Un tract de septembre / octobre 1971 intitulé « Le G.A.R.M., de quoi s’agit-il ? » nous donne des indications-clés sur l’identité, l’organisation, les objectifs de ce groupe antimilitariste lyonnais. Les encadrés qui suivent reprennent des extraits de ce tract. La manière dont se termine mai 68 nous amène à faire connaître le plus possible les dangers d’une militarisation permanente et accentuée que recèle l’organisation de la Défense nationale mise en place par les Ordonnances du 7 janvier 1959. La référence à mai 68 pose clairement le contexte de cette époque militante. Mai 68 a commencé un travail de remise en cause de l’autoritarisme, dont la militarisation est le symbole le plus fort. En 1971, des militants lyonnais pour la paix comptent bien continuer à s’opposer de multiples manières à la militarisation de la société française.

Organisation.

« Le Garm est le regroupement occasionnel de ceux qui veulent prendre des risques pour la paix ; il est en même temps le groupe de soutien actif de ces militants. Une organisation réduite au minimum lui permet une action rapide pour répondre à tout évènement qui menace la Paix et renforce le Pouvoir Militaire. Il s’agit principalement de maintenir des liens entre les militants prêts à ce type d’action et avec les nombreux groupes similaires en France et ailleurs. »

Á la fin du tract :

« Le GARM remplace l’organisation par une adresse (suit l’adresse de Mireille Debard). Le GARM remplace la cotisation par un CCP (suit le CCP de la trésorière, Paulette Declippeleir). Le GARM remplace l’adhésion par l’action. »

Ces quelques lignes constituent une synthèse rapide de ce qu’était le Garm. Il y a eu des évolutions, mais ce fil conducteur se retrouve en permanence. Cette organisation « réduite au minimum » reste pertinente pour tout ce qui concerne les actions publiques du Garm (manifestations, occupations par exemple). Par contre, assez rapidement, le groupe a ressenti la nécessité de créer diverses commissions. En décembre 1972, il existe six groupes :

  • Ventes d’armes
  • Objecteurs
  • Politique
  • Casernes – contingent
  • Armement nucléaire
  • Coordination (2 personnes par groupe).

Des assemblées générales ont lieu régulièrement pour faire le point sur le travail des divers groupes, pour envisager les différentes actions à mettre en place en fonction de l’actualité (procès d’objecteurs ou d’insoumis, de renvoyeurs de livret militaire, venue de tel ou tel ministre, etc.). Ces assemblées générales sont préparées en amont, et il s’agit toujours d’un moment fort pour le groupe. C’est l’occasion d’échanger entre les diverses commissions, et cela permet des débats de clarification entre les militants.

Par exemple, au cours de l’AG de 1973, sur la convocation sont notés les points à clarifier :

  • Organisation en petits groupes, dynamique et efficacité du Garm.
  • Garm et lutte contre une société autoritaire.
  • Rapport entre lutte antimilitariste et lutte de classe.

Entre ces AG se déroulent des réunions de coordination. Un bulletin de liaison a été mis en place (au début, une circulaire interne), adressé aux militants qui le demandent. Une réunion ouverte se déroule une fois par semaine, afin que de nouveaux sympathisants puissent prendre contact avec le groupe.

Un des soucis constant du Garm a été de trouver de l’argent pour son fonctionnement. C’est pour cette raison que le CCP est toujours mentionné sur les tracts. Il faut aussi faire face aux diverses amendes qui  tombent régulièrement, suite à de nombreuses condamnations. En mars 1974, le Garm met en vente des cartes de membres de « l’Organisation Clandestine des Adversaires Intérieurs », afin de faire face à un montant de 20 000 F d’amendes infligés à plusieurs de ses militants, et à son imprimeur.

Les antimilitaristes mènent la lutte sur divers fronts, et les militants du Garm se dispersent. Un appel à réunion du 13 /  01 / 1975 évoque la « léthargie » du Garm, avec une proposition de constitution de « dossiers du Garm ». Cela débouchera sur des travaux sur les ventes d’armes de la France, et sur les travaux sur le suivi des TPFA (Tribunaux Permanents des Forces Armées). Par contre, les activités spécifiques du groupe vont être plus espacées. Les militants se retrouvent dans les diverses mobilisations contre le service militaire (objecteurs, insoumis), contre l’extension du camp militaire du Larzac. La reprise des procès d’objecteurs en 1978 redynamisera ponctuellement le Garm.

En février 1980, dans « Garm info n°1 », le Garm « reprend du poil de la bête ». Pendant deux ans et demi, « Garm infos » paraît régulièrement ( 7 numéros), et est le témoignage d’une activité constante, dans une période où la donne politique a changé (arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981). Des nouveaux groupes spécifiques se sont créés : Objection collective, femmes antimilitaristes, renvoyeurs de papiers militaires. Mais ces groupes ont été incapables de récréer une réelle dynamique antimilitariste sur Lyon.

En 1984, un projet de coordination antimilitariste sur Lyon est en perspective. Mais il n’en sortira pas grand-chose, si ce n’est la fin du Garm… Les groupes continuent de manière autonome, les militants antimilitaristes qui restent continuent eux aussi, mais de manière non coordonnée.

Identité.

En 1967, dans la région lyonnaise, des militants de diverses organisations politiques, syndicales ou axées sur les problèmes de la Paix dans le monde prennent contact entre eux. Ces militants sont d’opinions politiques, de convictions philosophiques ou religieuses diverses, aussi leurs rencontres et leurs actions sont toujours marquées par le respect de ce pluralisme. Pour agir efficacement il fallait risquer de sortir de la légalité, ce qui n’était pas possible dans le cadre de leurs organisations respectives. Ils décident donc d’agir dans ce groupe qui deviendra ensuite le Garm. Un courrier du 10 octobre 1972, signé par 8 militants, a pour but de sensibiliser « le public, militant ou pas, sur les problèmes posés par les ventes d’armes, et surtout par une militarisation croissante du pays ». Au verso de ce courrier destiné à mieux faire connaître le Garm, il est écrit :

Le Garm est :

  1.  Un groupe d’action. Des militants de la région lyonnaise s’organisent d’une manière très souple pour réagir devant les multiples aspects de la militarisation. Ils agissent de manière à sensibiliser au maximum l’opinion publique. Les actions sont décrites comme « énergiques, fréquemment illégales, mais toujours avec un parti-pris de non-violence ». Elles peuvent aussi être plus massives (par exemple, 1000 personnes pour marcher sur le PC atomique du Mont Verdun).
  2. Ces actions supposent de plus des informations, « pour lever le secret sur la chose militaire ». Deux dossiers sont en cours d’élaboration (« Les bagnes de l’armée française », et « Ventes d’armes »). Elles doivent être complétées par une analyse « pour préciser en France le rôle politique, économique et social d’une armée capitaliste, pour s’interroger et interroger sur le rôle d’une armée socialiste, pour prospecter un avenir libéré de la fatalité des guerres et des agressions collectives. »

À ce moment-là, le groupe se définit donc comme partisan de la non-violence, même s’il ne s’interdit pas des actions énergiques, qui peuvent être illégales. Il lutte pour un avenir sans guerres, sans agressions collectives. Il est en lutte contre l’armée capitaliste, et s’interroge sur le rôle d’une armée socialiste.

En 1978, un projet de texte de présentation du Garm, sous l’intitulé « Si on ne s’occupe pas de l’armée… elle s’occupe de nous ! », permet de voir où en est le groupe à ce moment-là. Le Garm a été un peu en retrait militant dans les années 1976 / 1978, et une vague de répression contre les insoumis, et les objecteurs-insoumis, va amener de nouveaux militants à s’investir plus dans la lutte antimilitariste.

Ce texte appelle à la lutte contre l’embrigadement, contre la militarisation de la société, contre  l’armée impérialiste (titre des trois chapitres du texte). Le quatrième chapitre définit les objectifs du groupe : l’abolition du service national, la destruction des corps professionnels de répression, la neutralisation du complexe militaro-industriel. Suit, sous le titre « Que faire ? », une liste des actions militantes à mettre en œuvre. Ce projet débouchera sur une plateforme « Résistance à la militarisation », en 1980 /81 (avant l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la république).

La première partie est une analyse détaillée de la militarisation de la société dans ces années-là. La deuxième partie liste les actions à mettre en œuvre. Le chapeau est important : « Notre opposition à l’ARMÉE et au MILITARISME ne trouve pas sa racine dans des principes moraux, mais dans la volonté de maintenir et d’élargir notre LIBERTÉ et nos ESPACES DE VIE. » La troisième partie s’intitule « Nos moyens ». Elle est intéressante sur ce que souhaite être le Garm à ce moment-là : « On ne cherche pas à recréer une « organisation » locale ou nationale, mais à développer tout un réseau de contact permettant :

  • Une circulation rapide de l’information…
  • De contrecarrer dans le maximum de nos forces disponibles les interventions publiques de l’armée…
  • De développer la propagande sous toutes ses formes, traditionnelles ou innovantes… ».

 En parallèle, il est important de développer des contacts avec d’autres groupes antimilitaristes, au niveau régional, national et européen. Sur certains sujets, des petits groupes d’action peuvent se constituer, soit à l’intérieur du Garm, soit en lien avec d’autres personnes ou groupes intéressés particulièrement par ce sujet.

Cette plateforme se situe à un tournant, puisqu’en 1981, la gauche arrive au pouvoir. Petit à petit, l’identité du Garm se diluera dans différents groupes antimilitaristes, antinucléaires, féministes. Les petits groupes d’action évoqués à la fin de la plateforme prendront progressivement le relais du Garm, qui finira par disparaître en tant que groupe.    

Relations avec les autres groupes.

Le Garm est initialement le Groupe lyonnais de soutien aux « renvoyeurs » du livret militaire. Une brochure, « Ils renvoient leur livret militaire, Pourquoi ? », d’avril 1968, explique la démarche des renvoyeurs. Cette petite brochure est un supplément des « Cahiers de la Réconciliation » édités par le MIR (Mouvement International de la Réconciliation). Le groupe se constitue avec des militants issus du mouvement contre la bombe atomique (MCAA (Mouvement contre l’Armement Atomique, qui deviendra le MDPL – Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté – en 1968), du mouvement non-violent, et des chrétiens progressistes. Ces relations étroites seront « dans les gènes » du Garm. Certains militants sont aussi impliqués au sein du PSU (Parti Socialiste Unifié), dont les militants au plan national sont pour partie issus de cette mouvance. On retrouve souvent ces militants au sein de la CFDT au plan syndical. Très rapidement, le groupe étendra son soutien aux objecteurs de conscience, en relation avec d’autres groupes (par exemple, Comités de soutien aux objecteurs de conscience et SCI – Service Civil International –).

En février 1972, un comité de résistance à l’armée capitaliste (CRAC) reprend les principales revendications du Garm, en particulier le soutien aux objecteurs et aux insoumis, la lutte contre les ventes d’armes, la lutte contre l’extension du camp militaire du Larzac. À ces revendications vient s’ajouter le soutien à l’action militante au sein de l’armée. Des appelés commencent à s’organiser, revendiquant leur souhait de se syndiquer afin de faire valoir leurs droits au sein de la « grande muette ». Le Garm soutient évidemment ces luttes. Une brochure du PSU de novembre 1972 écrit : « La création de groupes locaux semblables au GARM, si elle n’est pas suffisante pour un combat national efficace, est cependant une condition « sine qua non » du développement de la jonction des luttes dans et hors casernes ». Un groupe « Caserne / contingent » existe au sein du Garm. Il est en contact avec le CLAM (Comité de lutte antimilitariste) et la Ligue Communiste. Dans un compte-rendu de ce groupe, (22 / 11 / 72), il est indiqué (au sujet du Clam) : « Certains de ses objectifs présentent une analogie avec les nôtres. Cependant, son organisation centralisée et pyramidale et ses objectifs sont différents des nôtres ou nous laissent sceptiques. Désireux de ne pas disperser prématurément les forces antimilitaristes et de rester nous-mêmes sans être récupérés, nous avons décidé :

  • de garder le contact et de faire circuler les informations.
  • de travailler sur certains objectifs en liaison avec eux.
  • d’être présents à la réunion des 16 / 17 décembre 1972 à Paris.
  • de rester conscients des objectifs pour nous prioritaires comme de la visée politique globale qui est la nôtre. »

Suite à la réunion à Paris, le Garm n’adhèrera pas à la plate-forme du Clam. L’une des raisons citée dans le compte-rendu : « Malgré les multiples précautions, on appréhende la monopolisation par le CLAM de la terminologie « Mouvement Anti-Militariste Révolutionnaire » qui du même coup nie toute une partie de la dynamique anti-militariste. »

Parallèlement à cela, l’insoumission se développe comme axe de lutte de l’antimilitarisme. En novembre 1972, un tract intitulé « Nous ne nous soumettrons pas », signé du GIT (Groupe Insoumission Totale), avec le soutien du Garm, inaugure le compagnonnage entre les insoumis et la Garm. Cela amènera parfois de longs débats au sein du groupe, car les insoumis (GIT, puis GI – Groupe Insoumission -) ont une vision plus radicale (refus du statut d’objecteur, par exemple) qui n’est pas partagée par tous les militants du Garm. Gérard Bayon, insoumis total fin novembre 1972, est en contact avec le Garm et le Git. Ce « double compagnonnage » se reproduira régulièrement. Mais les relations ne sont pas simples. Dans un compte-rendu d’une réunion du 4 décembre 1972, plusieurs remarques sont faites :

« L’ambition du GIT est d’acquérir une dimension nationale… Le GARM, lui, a plus une vocation régionale. Le GIT en tant que tel ne se sent pas concerné par l’insoumission dans laquelle se retrouvent, ou vont se retrouver, les objecteurs refusant l’affectation aux Eaux et Forêts. Il importe, par conséquent, que le GARM ne réduise pas le problème de l’insoumission à la forme d’insoumission représentée par le GIT, et c’est là le rôle du groupe de travail sur l’insoumission du GARM : voir quel appui apporter à toutes les formes d’insoumission. »

La conclusion de Christian Delorme montre bien la position du Garm à cette époque : « Il reste que la question de l’insoumission doit être vue comme un problème prioritaire. Elle peut jouer un rôle de fer de lance par rapport au contingent, sa force étant des plus exemplaires. »

Au-delà de ces débats entre les militants, le soutien du Garm vis-à-vis des insoumis sera constant.

Une autre lutte emblématique mobilisera sur presque toute la décennie 70 le mouvement antimilitariste : la lutte des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire. Les militants du Garm seront souvent en première ligne sur Lyon et dans la région lyonnaise : manifestations, meetings de soutien, participation au comité Larzac, refus de l’impôt. Le local du 68, rue Mercière sera le point de rencontre de ces résistants à la militarisation. Cette lutte permet la rencontre des diverses composantes du mouvement antimilitariste : renvoyeurs de livret, objecteurs, insoumis, militants de comités de soldats, syndicalistes.

L’élection de François Mitterrand fait évoluer la donne. La lutte antimilitariste se cherche, est en attente de nouvelles lois (loi d’amnistie, camp du Larzac, statut des objecteurs, justice militaire). Le Garm appelle à une assemblée générale des antimilitaristes, le 16 juin 1982, au CEP. Deux ans plus tard, en 1984, un appel « pour une coordination antimilitariste sur Lyon » sera la dernière tentative pour fédérer l’antimilitarisme.

L’antimilitarisme perdurera, bien entendu, en particulier par les comités « Hernu – Savary » (protocole d’accord entre le ministère de la défense et le ministère de l’éducation nationale). Le problème de l’objection n’est pas complètement réglé, encore moins celui de l’insoumission. Mais les formes de lutte ne seront plus les mêmes, et les militants du Garm se retrouveront dans d’autres combats, en particulier dans la lutte contre le nucléaire militaire et civil, ainsi que dans les grands mouvements européens contre les missiles (« ni pershings, ni SS 20 »).

Au niveau international, il y a eu un moment fort, à l’hiver /  printemps 1971, lors du procès d’objecteurs espagnols emprisonnés, alors qu’ils essayent d’obtenir un statut. Une marche de soutien Genève – Madrid a été organisée. Un des moments forts de ce soutien à Lyon sera le concert de Joan Baez au palais des sports le 28 mai.

Il y a eu aussi, occasionnellement, des relations avec des insoumis d’autres nationalités, lorsqu’ils essayaient de se structurer sur le plan international (ICI, Insoumission Collective Internationale, par exemple).

Des actions de solidarité seront organisées régulièrement, au moment du coup d’état de Pinochet au Chili, contre la multinationale ITT, fortement impliquée dans la guerre des USA au Vietnam, lors de la venue des Springboks en France (équipe de rugby d’Afrique du sud, qui pratiquait alors une politique d’apartheid au niveau de l’état). Le Garm s’est aussi associé à beaucoup de débats organisés par des associations de soutien au Tiers-Monde. La lutte contre l’extension du camp du Larzac a été l’occasion de relations avec des paysans d’autres pays.

Même si le Garm se voulait un groupe régional, son impact a dépassé largement son ancrage régional.