Au début des années 1970, près de cent cinquante objecteurs de conscience Témoins de Jéhovah ou adventistes sont prisonniers en Espagne franquiste. En 1970, les Cortès rejettent un projet du Conseil des ministres pour un statut des objecteurs.

José Beúnza, dit Pepe Beúnza, catholique non-violent, est le premier Espagnol à mener une action pour obtenir le statut d’objecteur. Le 12 janvier 1971, il refuse son incorporation militaire. Il est incarcéré et condamné à treize mois de prison.

Pepe Beúnza

Pepe Beúnza, Utrecht, 1970
(Wikimedia Commons)

Le 21 février 1971, des Espagnols, femmes et hommes, commencent une marche de cinquante jours, de Genève à la frontière espagnole, pour demander à être emprisonnés comme Pepe. Un groupe de Néerlandais, de Suisses et de Français les accompagne. Trente militants du Groupe d’action et de résistance à la militarisation (Garm) sont présents au passage de la frontière franco-suisse. Dans les villes étapes sont organisées des conférences de presse, des réunions publiques, des manifestations et aussi des rencontres avec les évêques d’Annecy, Chambéry, Grenoble et Lyon. Le 11 avril, à Bourg-Madame, une manifestation non-violente accueille la marche à son arrivée à la frontière espagnole. Les sept marcheurs espagnols sont arrêtés à peine la frontière franchie. Les autres manifestants, deux cent cinquante d’une dizaine de nationalités, sont bloqués par les douaniers espagnols. Une centaine d’entre eux restent assis pendant cinq heures et demie sur le pont marquant la frontière. Ils sont finalement matraqués par la police franquiste, « férocement », selon Midi Libre (12 avril 1971), et leurs guitares et sacs à dos lancés par-dessus les parapets. La solidarité internationale continue ensuite en Espagne où des porteurs de pancartes de plusieurs nationalités sont régulièrement arrêtés, en Europe et même à New York.

À partir de mai 1971, Jordi Aguilló Guerra et d’autres objecteurs chrétiens sont incarcérés.

Le 28 mai 1971, Joan Baez chante devant quinze mille spectateurs au Palais des sports de Lyon et lit publiquement une lettre de Pepe. Joan Baez offre au profit du Comité international d’aide aux objecteurs de conscience, organisation dont elle est une des fondatrices, les cachets intégraux de ses concerts à Lyon, à Châteauvallon (Var) et à la télévision française. L’émission en direct Télé-Dimanche est interrompue après sa première chanson pour l’empêcher de lire un message en faveur des objecteurs de conscience espagnols.

Le 13 mai 1972, une vingtaine de militants et de militantes du Garm et du groupe de Romans Objection et résistance interviennent en gare de Valence (Drôme). Ils s’enchaînent à un train espagnol et devant lui. Ils réclament un statut pour les objecteurs espagnols et dénoncent l’accord de coopération militaire franco-espagnol et la collaboration en matière de répression politique. Le même jour, dans plusieurs pays européens, d’autres groupes bloquent des trains espagnols ou occupent des lieux symboliques. Les manifestants de Valence sont condamnés à une amende. Gonzalo Arias, qui a participé à la marche depuis Genève et a été arrêté à la frontière espagnole puis a été incarcéré pour mise en danger de la sûreté extérieure de l’État, témoigne à la barre : « Les Espagnols sont très attentifs et très reconnaissants à ce qui se fait en dehors de leur pays. C’est grâce à cela que les idées font leur chemin, que les gens réfléchissent petit à petit. L’espoir pour nous Espagnols est de l’autre côté des Pyrénées. »

Un deuxième projet de statut est débattu en juillet 1971 par l’Assemblée législative puis retiré par le Gouvernement. Pepe bénéficie d’une amnistie mais doit repartir sous les drapeaux. Il refuse et commence de sa propre initiative un service civil autogéré. Il est à nouveau arrêté.

Après deux ans en prison au total, il subit quinze mois de bataillon disciplinaire au Sahara espagnol. Il en reste marqué psychologiquement :

« La peur, le sentiment d’un danger m’accompagnent presque toujours. Une vie continuelle dans l’illégalité laisse de ces traumatismes. Autrefois, on me jugeait spontané et exubérant ; à présent on me trouve froid et autoritaire, et j’ai presque cent ans de plus. Je dois me reprendre. » (« Lettre ouverte aux amis », 15 janvier 1977, cité in Objection, n° 66, 25 mai 1977)

À la mort de Francisco Franco, la démocratie renaît en Espagne. En janvier 1977, un statut permet aux objecteurs d’effectuer trois ans de service civil au lieu de deux ans de service militaire. Certains objecteurs, la plupart témoins de Jéhovah, ont passé vingt ans en prison.

Le statut ne satisfait pas les objecteurs et un important mouvement d’insoumission se développe.

En 2001, le parlement espagnol vote la suspension du service obligatoire et la suppression du délit d’insoumission. Tous les groupes politiques en profitent pour rendre hommage aux premiers objecteurs et insoumis dont Pepe. L’Espagne est le pays d’Europe qui a compté la plus forte proportion d’objecteurs de conscience parmi les appelés, suivie de l’Allemagne et de l’Italie. 1998 a été l’année record avec près de 166 000 objecteurs.

Bibliographie

  • Pedro Oliver Olmo, Portrait d’un insoumis : Pepe Beunza : l’odyssée carcérale du premier objecteur de conscience espagnol, Lyon, Les Éd. du MAN, 2010, 80 p. (ISBN 9782953548136)
  • Maurice Balmet, Patrice Bouveret, Guy Dechesne, Jean-Michel Lacroûte, François Ménétrier et Mimmo Pucciarelli, Résister à la militarisation : Le Groupe d’action et de résistance à la militarisation, Lyon 1967-1984, Lyon, Atelier de création libertaire, 2019, 324 p. (ISBN 9782351041215)
  • Anarchisme et non-violence, no Supplément au 25 « L’objection de conscience en Espagne »,‎ avril-mai 1971
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